1497, 8 février — Tours

France, Tours, AD 37, 3E8/291

Statut :
Transcription : Bernard Chevalier, François Avril, Pierre Aquilon

[Analyse enrichie] André Lepicquart, enlumineur demeurant à Tours et Olivier Robin, écrivain font entre eux le marché suivant, à savoir que led. Lepicquart promet aud. Robin lui «faire et parfaire vingt-quatre getons en ung quallandriez d’eures avecques les entrevelles [intervalles] et les lectres, de sabmedi prochain en huit jours» moyennant la somme de 22 sols 6 deniers qu’il confesse avoir reçue ; en outre Lepicquart reconnaît devoir aud. Robin le somme de 16 sols «a cause de prest et de vendition de librayrie», somme que Lepicquart s’engage à rembourser dans la quinzaine commençant samedi prochain, «en argent ou en besongne de sond. mestier».
Témoins: Alixandre Sablonnier et Christophle Portays.


NOTES
getons : voir ci-dessous.
entrevelles la forme « entrevalle » est attestée : “Ayant grant entrevalle entre eulx” (Ancien Testament, Samuel I, 26, trad. Lefèvre d’Étaples) ; “Or en cet entrevalle derechef elle frappe plus fort” Le levain du calvinisme 1611, p. 93. (Huguet reprenant Godefroy).

Nous tenons à remercier très vivement François Avril, conservateur général honoraire à la Bibliothèque nationale de France, de nous avoir éclairé sur la signification du mot «geton» dont aucun dictionnaire spécialisé ne donne, semble-t-il, de définition compatible avec le sens qu’il a dans ce texte. Il ne figure en effet ni dans le Glossaire archéologique du Moyen Âge et de la Renaissance de Victor Gay, ni dans celui de Léon de Laborde, ni même dans la publication plus récente intitulée Vocabulaire du livre et de l'écriture au Moyen Âge (Actes de la Table ronde, Paris 24-26 septembre 1987, éd. Olga Weijers, Turnhout, Brepols, 1989), qui rassemble tous les vocables énumérés dans les diverses communications faites à ce colloque). Après avoir noté que ce terme technique du vocabulaire de l’enluminure est largement attesté sur le territoire français, y compris dans les états flamands-bourguignons, comme le prouvent les exemples qu’il a réunis et que l’on trouvera dans la suite de cette note, il ajoute:
«Le mot a intrigué et on s'est rarement hasardé à en fournir une interprétation, excepté Beaurepaire dans son commentaire à propos de l'enlumineur rouennais Étienne Dumonstier. Je suis pour ma part tout aussi incertain sur sa signification, et me demande s'il ne devrait pas être pris dans le sens de rinceaux, car getons, diminutif de “rejeton” désigne parfois un rameau végétal secondaire d'un pied de vigne, mais je n'en mettrai pas ma main au feu. Autre possibilité: il pourrait désigner ces tiges métalliques dorées, d'où partent les “vignettes” (au sens premier de rinceaux de vignes), bordant les pages de textes sur le côté gauche. De telles bandes apparaissent fréquemment dans les calendriers.»

En ancien français et en moyen français, le substantif jeton est attesté avec le sens de (1) “nouvelle pousse d’un arbre”, par extension “rejet” et, par métaphore, avec celui de (2) “branche, lignée”; il signifie aussi “essaim”, conservé, selon le Dictionnaire étymologique de la langue française (Bloch Wartburg) dans les parlers de l’Est ainsi que jeter au sens d’«essaimer».
Aux exemples donnés par le Dictionnaire de Moyen Français 1330-1500 (en ligne: http://www.atilf.fr/dmf/ où seuls apparaissent sous l’entrée jeton (var. geton, gecton, geton, gettons, gictons, gitons, gitton(s), jecton) les sens ci-dessus, on ajoutera celui-ci: dans son “Rapport à M. le Ministre de l’Instruction publique sur les anciennes traductions de la Bible en langue vulgaire”, Bulletin du bibliophile, n° 5, 3e série, juillet 1838, p. 197-214, l’auteur, Antoine Leroux de Lincy signale la présence à la bibliothèque Mazarine, d’un manuscrit, Les Pseaumes en langage lorrain (M 382; anc. T 798) in-octavo sur vélin, traduit et écrit en 1365. Il est précédé d’une préface dans laquelle le traducteur rend compte de son travail, précisant que, «pour tant que laingue romance et especiaulement de Lorenne est imperfaite» notamment «per diseite de mos françois», il lui faut utiliser d’autres vocables que ceux qui viendraient naturellement sous sa plume. Ainsi «quant nostres sire dit en l’Evangeile saint Jehans: Nisi palmes manserit in vite, qui diroit lou romans selon lou latin de mot a mot: Se li palme ne demort en la vis. Et si n’ait point de vrai, ne de parfait entendement, selon lou senz de la lettre: quar si mot palme signifie plusour chose, quar ou la palme de la main ou l’arbre dou paumieir, ou lou getons et rains de la vigne ou de chescun aultre arbres; et tout ainsi puet on dire de ce mot vis qui signifie plusour choses, ou vigne ou visaige ou une vis tournante.» (p. 207). Voir la description de ce manuscrit et les reproductions dans Calames[http://www.calames.abes.fr].

Exemples de l’emploi de JETON/GETON dans le vocabulaire des enlumineurs PAYS-BAS MÉRIDIONAUX
Parmi les documents d’archives concernant Jean Wauquelin et son atelier de copie édités par Pierre Cockshaw, figure une lettre du duc Philippe le Bon datée du 5 avril 1452 n.s. qui donne mandement de rembourser à Jean de Croy, grand bailli de Hainaut, la somme de 189 livres 1 sol 6 deniers représentant le paiement par lui fait de la copie et de la décoration de divers manuscrits. Ainsi «A Jacotin Pilavaine, pour avoir fait enluminer ledit volume [comprenant la Consolation de philosophiede Boèce, l’Etique d’Aristote, Mellibee et Prudence de Renaut de Louhans et Les Cronicques de France abregez qu’il avait lui-même copiés] de six vignettes allans autour des marges au pris chascune vignette, l’une parmy l’autre, de vint huit gros dicte monnoie, valent 4 livres 4 sols; pour quatre autres petites a gectons du pris de quatre gros pièce, valent 8 sols.»
Ce paiement, ainsi que le détail des travaux de copie et d’enluminure qui l’ont justifié, sont rappelés en termes identiques dans une quittance du 24 avril 1453, donnée par Jeanne Aupaix, veuve de Jean Wauquelin et domiciliée à Mons, à Jehan Pauwillon, conseiller et représentant du duc en cette partie. («Item, pour quattre aultres petittes a getons, wijt sols monnoie dicte» et dans le récapitulatif final: «Et oultre plus, dist et aferma lad. vefve en parolle de verité que lesdis livres et volume contenoient autant que dit est dessus et que les vignettes a getons, letres, pirograffes, enluminures, reliemens, dorures et armoyeures et ens ou nombre que dessus avoient esté et sont faix ausdis livres.») Il y apparaît que le copiste Jacotin [Pilavaine], ici appelé du Boix, était le «serviteur» de Wauquelin et qu’il l’avait quitté «sans dire adieu». Voir: Les Chroniques de Hainaut ou les Ambitions d’un Prince Bourguignon. Publié à l'occasion de l'exposition présentée à la Bibliothèque royale de Belgique. sous la direction de Pierre Cockshaw; édité par Christiane Van den Bergen-Pantens. Turhnout, Brepols, 2000, p. 48 et s.

ROUEN
Parmi les documents cités par Charles de Beaurepaire dans son intervention du 15 juin 1906 intitulée “Enlumineurs rouennais”, on trouve les mentions suivantes:
“La fabrique de Saint-Maclou, le dernier jour d’août 1520, paya à Estienne du Moustier, enlumineur à Rouen en 1519 et 1528 (note 1), 75 sols pour 52 lettres carrées et 250 versets d’or bruni (note 2). Il reçut de la fabrique de Saint-Laurent, en 1528, 73 sols pour 3 vignettes à 15 sols pièce, et 8 jetons à 4 sols pièce (note 3).” “La fabrique de Saint-Laurent paie, en 1524 à Guyon Bonamy (1524-1527), «3 grans hystoires garnyes de vignettes par lui faites au livre de l’antiphonier avec 24 lettres d'or en façon de gectons, lesdites grans hystoires et vignettes, à raison de 15 sols pièce, les lettres de gectons, à raison de 4 sols pièce» ; en 1526 et 1527, «3 vignettes historiées au livre de l’Avent, à 15 sols pièce; des lettres d’or et des gectons, au même prix de 4 sols pièce» (note 4).” Bulletin de la Commission des antiquités de la Seine-Inférieure, vol. 14 (1906-1908), Rouen Cagniard (Léon Gy successeur), 1909, p. 48-55.

NOTES
1. Archives départementales de la Seine-Maritime G 3047 et s.
2. Archives départementales de la Seine-Maritime G 6880.
3. Archives départementales de la Seine-Maritime. G 6880. Par jetons, il faut, je [Ch. de Beaurepaire] pense, entendre les carrés dans lesquels étaient inscrites les lettres initiales des chapitres ou paragraphes du livre.
4. Archives départementales de la Seine-Maritime. Fabrique de St-Laurent G. 6800.
Voir aussi Georges Ritter, Jean Lafond . Manuscrits à peintures de l’école de Rouen: livres d’heures normands, Rouen, Lestringant; Paris, Picard, 1913, 60 p. 81 phototypies (Publications de la Société de l’histoire de Normandie), p. 9; note 1.
Les inventaires sommaires sont en ligne sur le site des Archives départementales de la Seine Maritime à l’adresse suivante: http://www.archivesdepartementales76.net/instruments_recherche/ir.php

TROYES
“En 1510, le chapitre de la Cathédrale St-Pierre de Troyes fait écrire par le franciscain Jean Nicolas, un livre de 83 feuillets, dont trois demeurèrent blancs. Le procureur de la maison des Frères mineurs reçut 20 livres pour le salaire de son subordonné. À Jean Robert, enlumineur, on paya «pour chascune lettre carree avec les jetons, III sous IIII deniers tournois», et vingt sous t. par cent des autres lettres «tant tornees que cadeaux remplies et les dictes lettres tournees florees d'azur et vermillon ». Il y eut vingt lettres carrées et cinq cent quatorze autres, qui reviennent à 8 livres 9 sols 2 deniers tournois. La fabrique fournit, pour faire l'encre, de la noix de galle, du vitriol, du vermillon, du vernis, de la gomme, de la «myne» (minium) et du safran. En résumé, avec le prix du parchemin, de pattes, de chandelles, compas, peaux, cordes, clous, cuir, laiton…, l’ouvrage revint à 66 livres 2 sols tournois; encore restait-il une grande partie du parchemin acheté.” Louis Morin, “Histoire corporative des artisans du livre à Troyes”, Mémoires de la Société académique d’agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube. Tome LXIII de la collection (Tome XXXVI. – 3ème série), 1899. Troyes, Paul Nouel, 1899, p. 293-434, ici p. 314. Archives départementales de l'Aube, G 1580 (Manuel des recettes et dépenses de la fabrique pour l’année 1509-1510), f. 218-220 et 391-392; auj. en lignes sur le site http://www.archives-aube.com/arkotheque/inventaires_en_ligne/

AVIGNON
Jetons apparaît dans le contrat en latin – à l’exception précisément de ce seul mot («cum hystoriis opportunis ac litteris capitularibus de auro puro et fino in campo diversificato et partito de lazulo d’Acre et rosa et cum jetons bene et fidéliter…») passé le 20 mars 1448 entre le peintre Jean de Planis, originaire d’Uzès, et Henri Tegrini, citoyen avignonnais et mandataire de Jean Rolin, évêque d’Autun, pour l’enluminure d’un missel écrit par le frère célestin Dominique Cousserius/Cousserii pour l’évêque et vraisemblablement destiné à la chapelle Saint-Lazare et sainte Marie-Madeleine que Jean Rolin et ses parents avaient fondée dans l’église des célestins d’Avignon. (Archives départementales du Vaucluse. Protocole de Jean Morelli, 1448 (Maître Giraudy; 3E8/775)
Publié par le chanoine Henri Requin, Documents inédits sur les peintres, peintres-verriers et enlumineurs d’Avignon au XVe siècle, Paris, 1889, p. 66, n° 11 des pièces justificatives; ce texte a été réédité par le Dr Pierre Pansier, Histoire du livre et de l’imprimerie à Avignon du XIVe au XVIe siècle. Avignon, Aubanel frères, 1922, t. 3 p. 40 et s., pièce n° 17; dans La splendeur des Rolin. Un mécénat privé à la cour de Bourgogne (Table ronde 27-28 février 1995 de la Société éduenne des lettres, sciences et arts); éd. Brigitte Maurice-Chabard. Paris, Picard, 1999. (Contient le catalogue de l'exposition “La bonne étoile des Rolin”, Hôtel-Dieu de Beaune et Musée Rolin d'Autun, 1994). Angélique Ségura a analysé ce contrat dans le chapitre qu’elle a consacré au mécénat des Rolin à Avignon (ch. 9, p. 135-142); enfin une traduction (infra) en a été proposée par Marie-Josette Perrat, dans le chapitre IX «L’or et l’azur: les manuscrits de la famille Rolin» du recueil d’études publiées sous le titre Regard sur les manuscrits d’Autun VIe-XVIIIe siècle, avec la collaboration de l’IRHT à l’occasion de l’exposition «Les manuscrits d’Autun, une redécouverte» (BM d’Autun 17 juillet – 21 octobre 1995), Autun, 1995, p. 129-147.
“Le 20 mars 1448, maître Jean de Planis, d’Uzès, enlumineur de livres, a fait promesse au dit seigneur évêque, d’enluminer un missel appartenant au seigneur lui-même, qu’il a fait écrire par Dominique Cousserius, célestin, avec des histoires appropriées et des lettres capitales en or pur et fin sur champ compartimenté de bleu d’Acre et de rouge, avec des jetons, bien fidèlement, décemment et honnêtement, sans fraude quelconque ni falsification, et de réaliser chaque histoire, bien dessinée, en or pur, lapis et pourpre, suivant la forme et les personnages convenus, selon les instructions du dit seigneur évêque, au prix de quinze gros chaque histoire et d’un écu d’or chaque centaine d’initiales susdite; et d’accomplir le dit ouvrage avec le plus grand soin et fidèlement, le mieux et le plus rapidement possible, sans fraude quelconque; et de ne pas suspendre le dit travail pour un autre, ni l’interrompre pour quelque raison que ce soit.
Ici même, le noble Henri Tegrini, banquier et citoyen d’Avignon, répondant au nom du dit seigneur évêque, et donnant sa propre caution, a promis au dit Jean de lui payer le prix convenu, en proportion de l’ouvrage réalisé et en fonction de ses besoins d’argent; et le dit Jean a promis de faire le dit ouvrage, dans la présente cité d’Avignon et de bien et fidèlement garder le dit missel et de le restituer, ainsi enluminé et totalement achevé au même seigneur évêque d’Autun.”

TOULOUSE
Le mot getons apparaît à l’article VII des Statuts de la communauté des enlumineurs et des relieurs de Toulouse (1481) publié par Anatole Claudin dans la première partie de l’étude qu’il leur a consacrée sous le titre: “Les enlumineurs, les relieurs, les libraires et les imprimeurs de Toulouse aux XVe et XVIe siècles (1473-1530). Documents et notes pour servir à leur histoire”, Bulletin du bibliophile, 1892, p. 546-561 (la 2ème et la 3ème parties ont été publiées dans la même revue en 1893, p. 1-24 et 142-165):
“Nullus artifex dicte artis luminature sive religature librorum ausus sit per se, nec per alium, aperte neque secrete, ipsam artem luminature sive religature, aut alteram illarum, in Tholose nec eius pertanorii exercere, operando manibus propriis, nec alienis operando de ipsa arte luminature videlicet de tourneure, florisseure, champissure ne eciam de devise nec de aliis deoratis, nec de alio colore, getons, bastons, vignetes, ystoires, ne autres façons de faire aud. office ou art appartenant, nisi preambule examinatus, aprobatus, juratus et admissus in ipsa arte sit, et jura intratus de quibus infra fit mencio «exsolvit», et hoc sub pena decem liborum turonensium. (p. 560); des extraits de cette étude ont été publiés dans la revue éphémère Le Manuscrit, d’Alphonse Labitte, 1895, p. 10, 27, 39, 58.
On verra aussi: Ernest Roschach, “Les douze livres de l’histoire de Toulouse. Chroniques municipales manuscrites du treizième au dix-huitième siècle (1295-1787). Étude critique”, Toulouse, 1887 [tiré à part des Actes du 16e Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences tenu à Toulouse en 1887, Toulouse, Privat, 1887, p. 129-460]; Baron Desazars de Montgailhard, «L’art à Toulouse : l’enlumineur Johannet», Revue des Pyrénées, 1891, p. 701-712. (supplique de 1478); Id. “L’iconographie des incunables imprimés à Toulouse”, Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de ToulouseDixième série – tome III, Toulouse, Impr. Douladoure-Privat, 1903; Toulouse Musée Paul-Dupuy, Les enlumineurs du Capitole de 1205 à 1610, Catalogue par Robert Mesuret. 1955.





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