Le compte de construction du château d’Amboise (1495-1496)

Lucie Gaugain

Chercheur associé, CESR (Tours)

Permalien : http://renumar.univ-tours.fr/publication/le-compte-de-construction-du-chateau-damboise-1495-1496/

 

Amboise devint royale en 1434. Si la couronne ne semble y avoir que ponctuellement séjournée durant le règne de Charles VII (1422-1461), Louis XI (1461-1483) en fit dès le début de son règne l’une de ses principales demeures, peut-être en souvenir de temps passé pendant son enfance, comme il l’évoque dans une de ses lettres1. Il lança ainsi en décembre 1463, sur le promontoire du château, un grand chantier dont l’activité est principalement renseignée par des mentions dans la comptabilité de la ville. Les travaux se concentrèrent essentiellement sur la pointe occidentale du promontoire, appelée cour du donjon et barrée d’un fossé que l’on franchissait par un pont-levis. Ils concernèrent alors aussi bien les logis est, ouest et sud (côté ville) que la galerie sur Loire au nord et la tour Garçonnet, située face au pont. La porte des Lions fut également modifiée. Charlotte de Savoie et ses enfants y demeurèrent ponctuellement avant 1469, puis de manière continue.

En 1483, si le château montrait un plan cohérent, les corps de logis royaux demeuraient enclos derrière le fossé du donjon. Dès 14892, Charles VIII lança un nouveau dessein qui concernait ponctuellement les bâtiments du donjon, tout en projetant au-delà du fossé des corps de logis d’apparat et de réception. Dans le donjon, les travaux sont mal cernés mais semblent s’être attachés à l’érection de la chapelle Saint-Hubert sur les fondations de l’ancienne chapelle du Saint-sépulcre de Louis XI3, ainsi qu’à la rénovation de quelques espaces (chambres, galeries…). Au-delà du fossé, dans la seconde cour, après avoir terrassé la place, on érigea, au-dessus de la rampe d’accès le logis des Sept Vertus et, en vis-à-vis, face à la Loire, la grande salle. Deux tours cavalières furent érigées de part et d’autre du promontoire, à l’extrémité de chacun des logis et, enfin, un nouveau logis s’éleva en retour de la grande salle, face aux jardins que l’on repensa.

Le compte de construction de 1495-1496 est le 4e d’Alixandre Blandin. Il ne concerne qu’une partie restreinte du château où se déroulent les travaux et les lieux sont rarement précisés. Son analyse montre que le gros œuvre du logis des Sept vertus est en cours d’achèvement puisqu’il reçoit sa couverture à la fin du second trimestre et que le jardin est en travaux, tout comme la tour des Minimes appelée « tour encomancé au Petit Fort dudit Amboise » ou encore « grosse tour » - qui fut élevée sur les deux tiers de sa hauteur durant les douze mois de la tenue du compte. Enfin, le logis en retour, faisant face aux jardins, dut être initiée cette année-là.

Le compte de construction du château d’Amboise de l’année 1495-1496 est conservé aux Archives Nationales, dans la série KK. Publié de manière fragmentaire par Louis de Grandmaison en 19124, il a par la suite été exploité par certains chercheurs, en particulier Évelyne Thomas5 et Lucie Gaugain6. C’est un document sans équivalent dans le monde de la construction castrale de la fin du Moyen âge XVe siècle et du début du XVIe. Premier compte de construction royal, il ne peut être comparé qu’aux comptes de fabrique de grands édifices religieux, tels que Gisors7, Sens8, Beauvais, Troyes9

 

Le compte présente tout d’abord les lettres patentes (f°2r°-4v°) octroyant au chantier son financement par une taxe sur le sel – nous allons y revenir -, puis les recettes de cette taxe (f°5r° à 31v°) et, enfin, les dépenses relatives au chantier de construction (f°32r° à 285r°). La partie des dépenses est divisée en 4 rôles couvrant chacun une période de 3 mois : octobre, novembre et décembre pour le 1er rôle, janvier, février et mars pour le 2nd, avril, mai et juin pour le 3e et juillet, août et septembre pour le 4e et dernier. Dans chaque rôle, les paiements sont répartis en chapitres rapportant les dépenses relatives :

-aux maçons ;

- aux « bouzilleurs » ;

- aux manœuvres ;

- aux enduiseurs ;

- aux « perriers » ;

- aux lattes, chanlates ;

- à la pierre de taille ;

- à l’achat d’ardoise ;

- aux tailleurs de pierre ;

- aux clous, fer et acier ;

- aux briques, tuiles et carreaux ;

- aux civières ;

- à la chaux ;

- aux seaux (« fallotz, godetz et seilles ») ;

- aux charpentiers ;

- aux pelles de bois ;

- aux couvreurs ;

- à la graisse, l’huile et aux chandelles ;

- aux « plombeurs » ;

- au cordage ;

- à l’achat de plomb d’étain et de soudure ;

- à la ferrure ;

- aux peintres et « ymagiers » ;

- à la menuiserie ;

- aux couleurs ;

- aux serruriers ;

- au charbon ;

- à la vitrerie ;

- au bois carré ;

- aux « nates » ;

- aux scieurs de long ;

- aux charrois ;

- aux barreaux ;

- aux autres dépenses communes.

 

    •  

    • Le financement et la gestion du chantier

 

Les folios 2r° à 4v° du compte sont consacrés aux vidimus des lettres patentes du roi qui ordonne, pour la quatrième année consécutive, les travaux de construction du château d’Amboise. Il délègue ses pouvoirs à Raymond de Dezest, « conseiller et tresorier de France » (f°2-4 et 281v°), qui reçoit l’entière gestion du chantier pour lequel il signe les « simples quittances ». Il est rémunéré 40 ℓ. t. par mois, soit 480 ℓ. t. par an, « pour ses peines et labeurs qu’il a cy devant eues et prins chacun jour pour le fait et conduicte des grans et simptueux ediffices et bastimens que fait et a intencion faire icelluy seigneur en son chastel d’Amboise ». Il est assisté d’Alixandre Blandin, receveur d’Amboise, « commis par ledit seigneur a tenir le compte et faire les paiemens desdits ediffices ». Ce compte est le « IIIIe d’Alixandre Blandin » dont la rémunération annuelle est de 150 ℓ. t. À la fin du compte de 1495-1496, il touche la totalité des gages qui lui est due depuis 1492, et auxquels s’ajoutent divers remboursements de paiements qu’il a avancés, revenant à la somme de 959 ℓ. 13 s. 9 d. t. (f°282v°).

Le chantier est financé, d’une part, par des décharges levées sur la recette de trois changeurs du trésor du roi dans les territoires rédimés, ou sur les recettes suffisantes de certains receveurs − dont Amboise − et, d’autre part, par prélèvement de 5 d. t. sur chaque minot, quart ou quintal de sel vendu dans tous les greniers et chambres à sel du royaume tant en pays de langue d’oïl que d’oc, Normandie, Picardie, Bourgogne ainsi que partout où la gabelle est en cours. Débutant en octobre 1492, cette levée doit financer 6 années de chantier. Amboise héritait alors de l’octroi sur le sel que Charles VIII avait accordé à partir de 1487 et durant 5 ans à la ville de Bourges, victime d’un grand incendie et devant se reconstruire10.

Les 36 620 ℓ. t. levées par décharges se répartissent comme suit : Nicolle Herbelot, changeur du trésor du roi, récolte et délivre 8 000 ℓ. t. levées sur Bordeaux, 11 500 ℓ. t. sur le Rouergue, 500 ℓ. t. sur le Berry, 6 000 ℓ. t. sur Toulouse, 6 500 ℓ. t. sur Rouen, 1 500 ℓ. t. sur le Maine et 500 ℓ. t. sur Amboise. Loys Poncher, notaire et secrétaire du roi, livre 120 ℓ. t. prélevées sur les « frais extraordinaires des greniers ». Enfin, Antoine Bayard, trésorier et receveur général de Languedoc, Forez, Lyonnais et Beaujolais, baille, pour sa part, 2 000 ℓ. t. Quelques 7 323 ℓ. 15 d. t. sont prélevés sur la recette des greniers à sel du royaume. Au total, 43 943 ℓ. 15 s. t. sont rassemblées pour financer les travaux de construction d’une année au château d’Amboise. Les travaux de ce compte coûtèrent 30 278 ℓ. t. Les dépenses entre les quatre rôles sont quasiment constantes : 24% au 1er rôle, 23% au 2e, 29% au 3e et 24% au 4e (cf. Graphique 1).

 

 

Graphique 1 : Répartition des dépenses totales au cours des quatre rôles

 

Les dépenses se divisent en deux groupes : d’un côté, les frais matériels (équipement du chantier, matériaux et transport) et, de l’autre, la rémunération de la main d’œuvre. La part revenant aux matériaux et à la main d’œuvre varie sensiblement. Au cours des 1er, 2e et 4e rôles, la main d’œuvre représente respectivement 53%, 56% et 60% du budget, contre 47%, 44 % et 40% pour les frais matériels ; au cours du 3e rôle, la tendance est inversée puisque la main d’œuvre coûte 33% du budget et les frais matériels 67% (cf. Graphique 2).

 

 

 

Graphique 2 : Répartition des dépenses sur l'année 1495-1496, matériaux et main d'œuvre confondus.

 

    • Les frais matériels (cf. graphiques 3 et 4)

 

 

Graphique 3 : Répartition moyenne des coûts des matériaux sur 1 an.

 

 

Graphique 4 : Répartition des dépenses par rôle consacrées aux matériaux

 

    • L’équipement du chantier

 

Le compte fournit peu d’informations relatives à l’outillage mais les pièces confectionnées par les maréchaux et l’achat de cordages ou de bois renseignent indirectement.

 

 

      • Loges, ateliers et engins de levage

        • Loges et ateliers

Il existe sur le chantier plusieurs ateliers sans doute spécialisés dans la maçonnerie et la taille des pierres : taille des ogives, des parements, des croisées... La commande d’un « petit charronneau garny de rous […] pour servir amener les grosses pierres d’ung hastellier et [sic] l’autre » est signalée dans le compte (f°229r°). Pour le transport des matériaux, le chantier fait une consommation importante de 16 civières roulantes (« rolleresse »), couramment appelées « charrettes à quatre bras », et de 91 civières à bras, aussi dites « brancard à fardeau ».

Lors de la construction de la tour des Minimes, une loge de maçons – c’est-à-dire un local de travail et de rangement de l’outillage - est construite au Petit Fort (f°147r°). Le compte indique par ailleurs une parcelle de terrain louée du côté de la rue de la porte Heurtault, au pied du logis des Sept Vertus, pour stocker pierres, chaux et sablon (f°226v°). Le puits carré (2 x 2 m) situé devant le logis des Sept Vertus dut servir dans un premier temps de monte-charge − avant de devenir le puits des cuisines.

 

        • Engins de levage

Sans doute achetés au cours des années précédentes car indispensables, les engins de levage ne sont pas consignés dans le compte. Durant cette année, le chantier ne fait pas non plus une grande consommation de cordes ou de chaînes. Une seule chaîne est commandée pour le nouveau puits (f°158v°). Les cordes, de plusieurs types, sont qualifiées de grosses cordes, cordes, ficelles ou « corde fouet ». Leur longueur est rarement précisée, le poids en définissant les prix (f°89v°). On achète ainsi 181 kg de corde, qui pourrait être appropriée au fonctionnement des engins ; 58 kg de « corde ficelle » plus légère et donc pas moins longue, pour servir sans doute aux échafaudages ; enfin la commande de « corde fouet » s’élève à environ 16 m (f°151v°).

        • Les outils

Chaque maçon possède en propre son marteau taillant, ou plutôt son manche de marteau façonné à sa main et auquel on adapte une pointe régulièrement aiguisée, dont le chantier supporte le coût. Il en est fait un usage intensif puisqu’en un an, sont forgées par le maréchal 8 140 pointes de marteaux (f°90v°), nombre qui correspond à une consommation moyenne de 4 pointes par an et par maçon, ce qui représente un poste de dépense finalement assez restreint, de 25 ℓ. t. par an, soit 1,23 d. par pointe. Les maçons peuvent aussi aiguiser, au besoin, leur marteau sur une pierre de grès que leur fournit Guillaume Senault, maître-maçon (f°126-127). D’après les quelques traces d’outils encore visibles dans la tour des Minimes, il s’agissait de brétures.

En 1495-1496, sont achetées 6 scies de cuivre spécialement conçues pour couper la pierre de porphyre rapportée de Naples (f°208r°). On ne sait guère comment a été utilisée cette pierre rare, dont les principaux gisements étaient épuisés dès la fin de l’Antiquité, mais elle a bien été taillée. Roche magmatique d’une dureté extrême, sa taille est très difficile et le plus simple est de procéder par abrasion ; d’où le recours à une scie en cuivre, relativement souple, dont la lame ne risque pas de casser.

Au cours de l’année 1495-1496, 193 pelles de bois sont commandées, à raison d’une cinquantaine par trimestre. Elles servent à « curez [tant] les doubves de la tour encomancé au Petit Fort dudit Amboise que ailleurs » (f°89r°), soit, entre autres, celles de la tour des Minimes, qui sont sans doute encombrées par les résidus de pierre. Les pelles fournies par Jean Gandillon, marchand d’Amboise, sont facturées 9 d. pièce. Des seaux servent aussi couramment : on compte ainsi 156 « seilles » et 114 « godetz ». Ils sont en bois, fabriqués par les tonneliers. Les « godets » coûtent 6 d. contre 12 d. t. pièce pour les « seilles » ce qui induit la contenance plus importante de celles-ci.

Les maçons se servent de quelques rares pinces dont on ignore l’usage exact (f°153v°) : Au cours de l’année, Carye Gilbert, maréchal, en forge 5 au prix de 20 d. pièce. La fabrication par Florentin Moyer, maréchal de la « chausseure de six bouloners pour servir a faire le mortier au pris de 20 d. » (f°90v°) et encore 2 boloners, « pour servir a destramper la chaulx et faire le mortier des maçons » (f°273r°), laisse supposer qu’il s’agissait de cuves destinées à la préparation du mortier. Par ailleurs, on rétribue le même maréchal pour 8 marres (f°90r°), grandes pelles larges et recourbées.

 

 

 

      • Les matériaux : la pierre, la brique et le mortier

        • La pierre

D’après les observations de terrain, les bâtiments de Charles VIII sont pour l’essentiel construits en tuffeau, la brique étant réservée à quelques parements intérieurs. Le compte ne révèle pas à quels bâtiments étaient destinées les pierres. Les deux tiers de la tour des Minimes sont élevés durant l’année 1495-1496. Une grande partie des matériaux fut utilisée à sa construction.

La pierre constitue un poste de dépense très important, le second après la rémunération des maçons et représente 16,5% du budget total, soit 6 188 ℓ. 13 s. 11 d. t. (cf. graphiques 3 et 4.).

 

          • Provenances

Selon le compte, la pierre provient de 10 carrières situées le long des vallées de la Loire et du Cher : Malvau, Lussault-sur-Loire, Limeray, Les caves près du Coudray, Belleroche, Les Terriz, Saumur, Bourré, Saint-Aignan et La Ronde « près Loches ». Leur distance par rapport au chantier est variable, de 2 km pour Malvau, à environ 110 km pour Saumur. Il est souvent spécifié que la pierre est livrée « au port dudit Amboise », plus rarement « audit chastel » et exceptionnellement « sur ladicte perriere » pour le cas de la pierre de La Ronde. À la fin du XVsiècle, plusieurs ports sont aménagés à Amboise, mais le plus usité se situe en amont du pont, à l’entrée de la ville et quasiment au pied du promontoire, à une distance qui doit varier de 50 à 100 m en fonction de la saison et du niveau du fleuve. Lorsque la pierre est livrée au château, aucune précision ne permet de déterminer si elle est déposée au pied ou au sommet du promontoire. Mais le « port de la pierre » et l’« atellier » sont mentionnés dans les archives de la ville sur le bord de la grève.

 

          • Coût de revient des pierres

 

Le prix des matériaux ne reflète pas seulement l’éloignement des lieux d’approvisionnement. Certaines pierres sont plus prisées que d’autres, sans doute en fonction de leur qualité intrinsèque. Le compte indique le prix « au cent » et les quantités commandées individuellement demeurent très variables, allant de 5 à 1 355 quartiers (f°62r° et 251r°-v°).

Sont ainsi relevés les prix suivants :

  • La pierre de Malvau revient à 5 ou 6 ℓ. t. au cent, livrée au port ;

  • La pierre de Lussault est à 8 ℓ. t pour une livraison au port ;

  • la pierre de Bourré coûte 8 ℓ. t. lorsqu’elle arrive au port et 10 ℓ. t. lorsqu’elle arrive au château ‒ ce qui est très rare ;

  • La pierre de Saumur, qui fait pourtant partie des carrières les plus éloignées, ne coûte que 5 à 8 ℓ. t., même sous forme de grands quartiers (f°66r°). Elle est livrée au port et compte tenu des quelque 110 km qui doivent être parcourus à contre-courant sur la Loire, son prix faible indique sans doute une moindre qualité ;

  • La pierre des Terriz atteint 27 ℓ. t. le cent, livrée au port ;

  • Les pierres de Saint-Aignan et de Belleroche, qui sont les plus coûteuses, entre 25 et 30 ℓ. t. le cent pour être livrées au port, se prêteraient à la sculpture.

 

Enfin, pour ce qui est des blocs, le coût de ces pierres calibrées, toujours vendues à l’unité, est très variable et dépend de leur nature, mais il reste nettement supérieur à celui des quartiers. Il est compris entre 7 à 8 s. t. et 25 s. Vendus au cent, ils reviennent à un prix compris entre 35 ℓ. t. et 125 ℓ. t., soit 7 à 25 fois plus élevé que celui des quartiers. Leur transformation par les tailleurs de pierre n’est jamais mentionnée, ce qui confirme bien qu’ils sont utilisés tels quels, et explique qu’ils soient plus coûteux à l’achat.

On constate donc que les transports remontant le courant, nécessairement plus lents, n’ont pas pour autant influencé le choix des constructeurs car la sélection d’une pierre dépendait surtout de l’utilisation projetée. En témoigne leur appellation, les pierres arrivent souvent grossièrement épannelées sur le chantier ce qui permet aussi de réduire au minimum la charge transportée par gabarres et charrois.

 

 

        • La brique

À l’échelle du compte, le coût de revient de la brique est très modéré et ne représente que 4% de la dépense totale : 468 ℓ. t. (cf. graphiques 3 et 4).

Le travail de la brique est peu documenté sur le chantier ; cependant les mentions s’y rapportant permettent de localiser approximativement les travaux qui l’emploient et qui ne sauraient concerner la tour des Minimes, entièrement construite en tuffeau. La quantité de briques employées est importante : 268 750 toutes catégories confondues. Le compte en différencie trois sortes : 65 000 briques, 193 750 grosses briques et 10 000 petites briques.

Aucune brique n’est commandée au cours du 4e rôle qui couvre les mois de juillet, août et septembre 1496 et l’achat le plus important a lieu durant le 1er rôle (octobre, novembre, décembre 1495), représentant avec 130 750 grosses briques environ la moitié du nombre total de briques livrées. Quand leur provenance est précisée, elles arrivent au port d’Amboise depuis Autrèche et Montlouis (f°73v°). Autrèche se situe à une quinzaine de kilomètres au nord d’Amboise ; le transport des briques se fait par charroi puis par eau. Montlouis-sur-Loire se trouve à 16 km en aval d’Amboise, sur la rive gauche de la Loire.

Les dimensions de chacune des trois catégories de briques et leur emploi ont pu être déterminés sur le terrain. La grosse brique rencontrée dans la grande salle est utilisée sur une double épaisseur en carreaux-panneresses ; 200 grosses briques (22 x 11 x 5,5 cm) étant nécessaires pour parementer 1 m² de maçonnerie, elles couvriraient 968 m².

La brique (11 x 6 x 5,5 cm) a été retrouvée dans les tourelles circulaires du logis de Charles VIII (1,25 m de rayon intérieur). Peu de panneresses, environ trois par assise, sont présentes mais elles prouvent bien, là aussi, une double épaisseur de parement. Au nombre de 65 000, elles couvriraient environ 160 m². Enfin, la petite brique (10 x 8,5 x 4,5 cm) s’observe ponctuellement associée aux grosses briques dans le mur de soutien méridional du jardin, constitué d’une alternance d’assises de briques et de pierres. Tandis que le cœur du mur est élevé en petite brique et en moellon, le parement emploie, sous forme de placage, grosse brique et pierre de taille. Les pierres présentent une épaisseur d’environ 10 cm de manière à correspondre à celle des briques et il n’y a pas de carreaux panneresses. Dans les niches, les grandes briques sont utilisées pour les parties planes du dossier du banc, alors que la petite brique apparaît dans les angles incurvés. Les 10 000 petites briques du compte n’auraient permis de construire que 45 m² de maçonnerie.

Enfin, le mur du logis des Sept Vertus, toujours visible dans la rampe d’accès, présente une mise en œuvre encore différente : les assises de carreaux alternent avec les assises de panneresses.

Le prix de revient des briques est donné au millier et varie entre 20 s. t. pour les petites briques, 23 s. 2 d. t. pour les briques ordinaires et 26 s. 8 d. t. pour les grosses briques. Les maçonneries en grosse brique sont moins coûteuses puisque 1 000 grosses briques couvrent une surface deux fois supérieure à celle couverte par autant de petites briques. Aussi, le mètre carré de maçonnerie de parement en grosse brique revient-il à environ 3 s 10 d. t. En supposant que les quartiers de pierre mesurent en moyenne 50 x 30 x 30 cm, 6 quartiers sont nécessaires pour monter 1 m² de parement. Le prix de revient est donc très variable : un parement en pierre de Bourré coûtant 9 s. 6 d. t. le mètre carré contre 30 s. t. pour un parement en pierre de Saint-Aignan. Ajoutons au prix de la matière brute, celui de la main-d’œuvre qui transforme le quartier en pierre de taille et qui est rémunérée 40 s. t. le cent, le mètre carré de pierre de Bourré revient à 11 s. 10 d. t. et à 32 s. 4 d. t. en pierre de Saint-Aignan.

L’économie que représente la construction en brique − 2 à 6 fois moins chère − est réduite par une consommation plus élevée de mortier. Celle-ci est compensée par l’épaisseur du parement de pierre de taille, trois fois supérieure. Mais, de fait le coût du mortier est négligeable. Un parement de pierre était ainsi 2 à 5,5 fois plus cher qu’un parement de brique.

 

        • Le mortier

La chaux demeure un poste de dépense relativement important : le 4e des matériaux et le 7e toutes dépenses confondues (cf. graphiques 3 et 4). Coûtant entre 10 s. et 11 s. 16 d. t. la pippe, 1 340 ℓ. t. sont dépensées à ce titre. Durant l’année 1495-1496, le chantier s’approvisionne en chaux à hauteur de 2 813 pippes. En Touraine, la pippe mesure deux poinçons et le poinçon vaut entre 240 et 260 litres et, à Tours même, 265,16 litres11. On peut donc supposer que les pippes amboisiennes approchent 500 litres. En un an, 1 400 000 litres de chaux sont donc livrés pour le château.

La quantité de sable, ou « sablon », employée pour le mortier est difficile à évaluer car, par exemple, « Jean Legier, perrier de Malvau » est rémunéré 5 s. t. par jour pour « amener du sablon audit port » durant 7 journées avec sa sentine (f°253v°). On ignore à quelle distance du port il va chercher le sable et donc combien de voyages il effectue dans la journée. On compte de la même manière, au cours du 4e rôle (été 1496), 17 autres journées employées à ce transport (f°278). Les paveurs étant quant à eux tenus de fournir « pavé, sablon, charroy et autres choses a ce necessaires » (f°202r°), notre analyse du sable consommé pour le mortier n’est pas faussée. Quant à l’emploi du sable, on observe d’une manière générale à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque Moderne que la granulométrie de l’agrégat du mortier est relativement régulière ce qui induit un tamisage ou tri préalable.

La chaux est commandée à « Jean Bourré, chaussinnier demourant a Rilly » (f°205v°) (actuellement Rillé-sur-Loire, à 11 km en amont d’Amboise, sur la rive gauche). Les manœuvres préparent le mortier pour les maçons dans une grande cuve, en bois cerclée de fer f°229r°), contenant l’eau nécessaire. On peut imaginer que l’utilisation de « cinq toise de gouttieres pour servir aux maçons a faire couler le mortier du hault en bas » signifie que l’atelier préparant le mortier est resté sur le promontoire pendant les travaux de la tour des Minimes et qu’un tel système est mis en place pour éviter d’employer des poulies, des cordes et des sceaux qui auraient mobilisé à l’évidence plus d’ouvriers (f°78r°). Ces gouttières commandées à Pierre Beauhardi, couvreur, doivent être en bois car elles ne coûtent que 3 s t. la toise. Douze autres toises de gouttières dont l’utilisation n’est pas précisée sont commandées au même couvreur au cours du 4e rôle.

 

 

 

      • Le bois

        • L’approvisionnement en bois du chantier

Comme pour les autres matériaux, la quantité de bois achetée paraît considérable mais assez restreinte ramenée à l’échelle du chantier, puisque c’est à peine 1% du budget qui y est employé (cf. Graphique 3 et 4). Une grosse commande a lieu durant le 1er rôle, au mois d’octobre. On achète à « Jean Verron, marchant de boys demourant a Vouvrey sur Loire, unze cens trois quarterons et demy gros boys carré » et, à Robin Rousseau, « troys quarterons d’autres boys carré » (f°85v°). L’unité n’est pas précisée mais lors du 2rôle, l’achat de bois carré est calculé en toises ; il y a donc tout lieu de penser que c’est bien l’unité adoptée dès le 1er rôle. Au total, durant le 1er rôle, sont achetés 2 375 m linéaire de gros bois carré et 150 m linéaires d’autres bois carré.

À raison de 12 ℓ. t. le cent, le « gros boys carré » représente un poste de dépense important (1 420 ℓ. 10 s. t.), alors que le poste d’« autre boys carré », coûtant 8 ℓ. t. le cent, ne revient au cours du 1er rôle qu’à 6 ℓ. t. Le bois vient de Vouvray, située à proximité immédiate d’Amboise, à 8 km sur la rive droite. On peut s’étonner de ce que l’on exploite peu le bois de la forêt d’Amboise qui relève pourtant du domaine royal. Une unique mention en fait état : 3 journées de charroi furent effectuées par « Loys Amangeart avec son charroy a troys chevaulx, pour amener du boys carré audit chastel tant de la forest dudit lieu que du port de la riviere au pris de 10 s. t. par jour » (f°224v°).

 

Au cours du 2e rôle, on commande au même marchand « seize cens soixante deux toises de boys carré commun » à 8 ℓ. t. le cent, ce qui correspond à environ 3 324 m linéaires de bois. Il fournit aussi 75 toises de chevrons(f°147r°), soit 150 m, à 7 d. t. la toise ; mais on sait, dans ce cas précis, qu’ils sont prévus pour la construction de la loge des maçons au Petit Fort. En outre, on achète à « maistre Robert Trustain, une grosse piece de boy carré » à 20 s. t. dont on ne connaît ni les dimensions ni la destination.

Le gros bois carré d’Amboise a pu servir aux poutres des planchers à solives et le bois carré commun aux charpentes. Cependant, les journées de scieurs de long − qui ne sont que 2 puis 3 − signifient une transformation du bois : 64 journées de 2 compagnons au 1er rôle et 11 journées au 2rôle, auxquelles s’ajoutent 14 jours d’un scieur travaillant seul « a syer du boys carré, a faire repartaige et autres petiz boys pour le fait desdits ediffices ». Il faut donc supposer que certains bois − sans doute les plus gros − ont été équarris en quartiers ou transformés en planches. La part de bois de brin sur le chantier reste impossible à évaluer.

 

        • Les charpentes

Les différentes catégories de pièces de bois sciées, leurs qualités, leurs dimensions et leurs utilisations spécifiques sont connues12. Ainsi, dans un même fût, les premières planches sciées, de second choix, sont employées « dans les cintres, les échafaudages ou mise en œuvre dans les communs du château ». Les plus belles planches peuvent atteindre un demi-pouce (1,49 cm) d’épaisseur. À Amboise, les bois fendus en quartiers (« repartaige ») ou sciés (« seaige ») ont pu être affectés à la pose de planchers et de lambris, notamment dans les combles et dans les portiques, mais aussi aux échafaudages. Un gros bois carré pouvant être débité en quartiers, ces indications ne permettent pas d’attribuer formellement le bois livré à tel ou tel édifice. Il est donc réparti au rythme du chantier.

La pose de charpente suppose l’intervention consécutive des couvreurs. Au cours du 1er rôle, les charpentiers, qui effectuent 1 806 journées, doivent œuvrer au logis des Sept Vertus, puisqu’il est couvert durant cette période, à l’exception de sa rampe droite cavalière. La charpente de ce logis est sans doute levée dans le gros bois carré qui vient d’être livré − coupé en quartiers ou non. Enfin, il est à noter que le débitage et les éventuelles moulurations entraînent des pertes importantes dépassant 50%, mais que les menuisiers fournissent généralement ce bois.

Au cours du 2rôle, les scieurs de long interviennent peu, ce qui correspond à la livraison de bois carré commun. Parallèlement, le travail des couvreurs diminue : le travail par marché passe à 100 ℓ. t., contre 600 ℓ. t. au cours du 1er rôle, et le travail à la tâche ne compte que 25 journées. Les couvreurs opèrent alors à la rampe cavalière droite du logis des Sept Vertus et en divers endroits, notamment aux « galeries du donjon » (f°140).

 

Les charpentiers ne sont pas tenus de fournir le bois de charpente, pourtant Robin Rousseau complète le gros approvisionnement du 1er rôle par « troys quarterons d’autres boys carré », ce qui prouve que malgré les chiffres considérables, le calcul est fait au plus juste. Au cours du 3rôle, ne figure aucun achat de bois de charpente et durant le rôle suivant, c’est exceptionnellement un charpentier, Macé Huguet, qui est rétribué pour avoir « baillé et livré 73 toises de boys carré » au prix dérisoire de 2 s. la toise ce qui pourrait signifier que le bois était de moindre qualité et sans doute employé aux structures temporaires servant aux travaux de maçonnerie.

 

        • Les échafaudages

Sur le terrain, les trous de boulins ne s’observent que dans les noyaux des tours cavalières alors que ce mode d’échafaudage correspondait à la solution la plus pratique et la plus usitée. Nous avons évoqué la possibilité de travailler sur l’épaisseur du mur des tours, mais pour les logis il est nécessaire d’échafauder et donc d’avoir à disposition des planches ou des claies, ce qui se vérifie dans le 4e rôle du compte par l’achat de « 23 clayes de boys par eulx baillees et livrees au temps dessusdit pour servir a chauffauder pour le fait desdits ediffices au pris de 7 d. piece »(f°280-281). Outre le système d’échafaudages employant les boulins, il en est un autre soutenu par une structure verticale à deux rangs de perches et pourvu de petites plateformes de claies. Cette technique peut être corrélée au paiement de journées de charretiers qui amènent durant le 1er rôle, depuis la forêt d’Amboise deux « chartee[s] de perches depuis ladite forest jusques audit chastel pour chauffaulder ou pour employer a faire lesdits chaffaulx » (f°97r°). Ce type d’échafaudage employait généralement de la corde. La consommation qu’en fait le chantier n’est pourtant pas considérable, mais on peut en rapprocher la grande quantité de clous commandée et la diversité de leurs types. En outre, pour échafauder, Florentin Moyer, maréchal, forge des « goncz neufz » (f°90v°), terme dont le sens reste incertain. Par ailleurs, au cours du 4le, à l’approche de la mauvaise saison, 50 charretées de perches sont apportées pour couvrir provisoirement la tour des Minimes de chaume (f°277v°). L’un des charretiers rapporte aussi 35 « courbes » (f°97r°). Livrées au moment de la construction de la tour des Minimes, elles pourraient correspondre à des cintres pour les baies ou pour les voûtes.

Enfin, le bois des échafaudages ‒ claies, perches… ‒ était sans doute récupéré autant que possible et remployé d’un lieu à l’autre ce qui exclut d’en rencontrer des mentions dans le compte.

 

 

      • Les métaux

 

Le métal tient une place capitale. Outre le fer, sont aussi utilisés le cuivre, l’« estaing poix », le plomb et le laiton. Si l’achat des ferrures représente 5% du coût annuel des frais en matériaux (642 ℓ. 8 s. 9 d. t.), l’achat de la matière première brute reste assez dérisoire à l’échelle du compte, environ 1%. En revanche, le chapitre « etain, plomb et souldure » monte à 12% de la part consacrée aux frais matériels, soit 5% du budget total (cf. graphique 3 et 4).

 

        • Le fer

Travaillé par les serruriers, les maréchaux et les forgerons, sa mise en œuvre apparaît plus rustique lorsqu’il est forgé par ces deux derniers corps de métier. La provenance de la matière première est variable. Certains ouvriers la fournissent eux-mêmes mais parfois on l’achète auprès d’un marchand. Au prix de 24 s. t. les 100 livres, c’est un matériau assez bon marché. Ainsi, Jean de Maslines, marchand demeurant à Amboise, fournit cette année-là la quantité importante de 11 516 livres de fer.

Au cours du 2rôle (hiver 1496), on met en fabrication 12 barres de fer, destinées à des tirants pour le logis des Sept Vertus. Jean de Bayne forge ainsi 8 grandes barres, pesant 577 livres pour « la voulte de la gallerie au bout de la monte a cheval », et 4 grandes barres, pesant 424 livres « pour servir a tenir les pilliers de pierre » (f°152v°-153r°). Ainsi, selon cette tradition de « la pierre armée », on peut supposer que les supports de pierre sont consolidés d’un ceinturage de fer, utilisant le surplus de matériau.

 

Les forgerons ne fabriquaient pas les clous, commandés à un marchand amboisien, en général Jean De Maslines. On décompte 10 sortes de clous différents, dont les distinctions dépendent à l’évidence d’une tradition locale, très proche de celle de Tours (f°270r°). Se distinguent ainsi les clous des couvreurs − à latte ou à latte et ardoises − de ceux des charpentiers. Cependant, la plupart des couvreurs étaient défrayés pour avoir fourni les clous nécessaires à la couverture. Les clous « palastreretz » étaient destinés à la charpenterie, mais nombre de clous restent non identifiés. Les clous becdane, les clous de Gien et les clous à chaland sont utilisés tout au long de l’année et en grande quantité. Leur prix est très variable (cf. Tableau 6).

 

Sortes de clou

Nombre

Prix

clous a « troys coups »

9 200 au cours des 3e et 4erôles.

12 d. t. le cent

Chevilles

1 700 au cours du 4erôle.

1 d. t. pièce

clou « guigueczon »

10 850 au cours des 2e, 3e et 4erôles.

4 s. 2 d. t. le millier

clous « guigneez »

2 100 au cours du 1errôle.

5 d. t. le cent

clous « becdane »

17 725 au cours des 4 rôles

23 s. 4 d. t. à 33 s. 4 d. t. le millier

clous « de Gien »

25 012 au cours des 4 rôles.

16 s. 8 d. t. le millier ou 20 d. t. le cent

clous « palastreretz »

1 400 au cours des 1er et 4erôles.

12 d. t. le cent

clous « a lathe et ardoises »

23 225 au cours des 3e et 4erôles.

5 s. t. le millier

clous « a lathe »

17 700 au cours des 1er et 2erôles.

5 s. t. le millier

clous « a chalan » ou « chalain »

17 650 au cours des 4 rôles.

12 d. t. le cent

clous « chevilles »

775 au cours du 1errôle.

8 s. 4 d. t. le cent

 ​​ ​​​​ Tableau 6 : Les clous

 

        • Le plomb

Il apparaît au chapitre de l’« Achapt de plomb, estain et souldeure ». Son cours est à 23 ℓ. 19 s. 2 d. t. le millier de livres (f°208v°) et le coût de revient du plomb brut s’élève à environ 1 000 ℓ. t. pour l’année. Le succès du plomb sur les chantiers est dû à son point de fusion bas (327,4°C) qui facilite les soudures et à sa grande résistance à la corrosion qui permet son emploi à l’extérieur. D’après le compte, 84 400 livres de plomb sont commandées au cours de l’année (approximativement 42 200 kg). Son usage n’est pas précisé, mais son pesage l’est (f°281v°).

Dans le compte, l’emploi du plomb se réduit à plomber. Ce terme de plomber recouvre toutes les utilisations du plomb pour les ornements des toitures : épis, bavette, faitage… Mais même si des épis de faîtage et des bavettes ornent les toitures du château, les quelques 42 tonnes de plomb n’ont pu être employées uniquement à cet usage. Il dut également servir au scellement des structures de pierre et de fer entre elles (agrafes, goujons…), à certaines étanchéités et aux baies. Lors de réparations effectuées sur certaines fenêtres, Jean Durant, vitrier, est payé pour avoir « mis du plomb ou il en falloit ».

Les « plombeurs » consomment aussi de la graisse et du charbon en quantités importantes, mais sans que celles-ci ne soient différenciées de celles qu’utilisent les maréchaux (f°146v°, 151v° et 168r°), les serruriers ou même les peintres. Ainsi, 737 « sommes de charbon » sont commandées au cours de l’année, ce qui revient à une consommation de 134 à 237 « sommes » pour chaque rôle, au prix unitaire de 3 s. 9 d. S’il est évident que le charbon sert à fondre le plomb, à forger ou même aux peintres, la quantité de graisse infime (7 livres) pourrait avoir servi à graisser les roues des chariots et à la pose des grilles dans les maçonneries (f°89r°).

 

        • L’« estaing poix »

La quantité d’« estaing poix » s’élève à 660,5 livres. La poix est vendue entre 3 s. et 3 s. 4 d. t. par un marchand de Blois, mais son usage n’est jamais spécifié. La poix résine est habituellement employée par les soudeurs qui frottent leurs soudures pour que le fer à souder n’adhère pas.

 

        • Le cuivre

Les « fondeurs et bossetiers » travaillent le cuivre ; la matière première est acquise auprès de marchands demeurant à Blois ou à Tours. Le cuivre est un matériau relativement bon marché, à peine plus cher que le fer, revenant à 3 s. t. la livre. Les 118 livres commandées durant l’année 1495-1496 sont transformées en poulies pour le nouveau puits (f°141-142), fontaines, scies à découper la pierre de porphyre ramenée d’Italie et en « quinze mouchetes de cuyvre [...] pour servir au lampiers de la chapelle dudit chastel » (f°141).

 

 

      • L’ardoise, la tuile et les carreaux

 

L’ardoise est fournie par les couvreurs. On ne connaît donc ni son cours, ni la quantité utilisée. Briques, tuiles et carreaux sont vendus par le même marchand pour 4% de la dépense en frais matériels du compte et moins de 2% de la dépense totale (cf. graphiques 3 et 4). Si l’on en croit les fournitures en tuiles et lattes à tuiles, on couvre de ce matériau un ou plusieurs bâtiments. A priori, il s’agit de bâtiments de moindre importance, comme le confirment les procès-verbaux des XVIIe et XVIIIe siècles, les bâtiments principaux étant couverts d’ardoises. On commande au total 15 500 tuiles, à raison de 9 500 au cours du 2e rôle, puis 3 000 durant les 3e et 4e rôles. C’est un matériau bon marché acheté 21 s. 8 d. le millier à « Jean Pertuys dit Canine », tuilier, qui fournit aussi des briques et des carreaux. Il en est commandé 93 400 au prix de 16 s. 7 d. t. le millier, à raison de 44 000 au cours du 1er rôle puis, dans les suivants, 30 000, 7 000 et 12 000. On ne connaît ni le corps de métier chargé de carreler, ni leur destination, ni leurs dimensions et nous sommes dans l’incapacité d’évaluer les surfaces recouvertes. Toutefois, le procès-verbal de 1761 décrit la galerie du jardin carrelée « en carreaux de pays ». Dans le même procès-verbal, les autres lieux carrelés se limitent aux bâtiments de la basse-cour, mais on sait qu’il est courant que les combles soient carrelés ; rappelons que le logis des Sept Vertus vient de recevoir sa couverture et qu’il développe environ 750 m² de combles.

 

 

 

      • Les Couleurs

 

À Amboise, le décor textile était important, mais sans doute n’était-ce là qu’un décor de fête. Le compte consigne les commandes de pigments pour les peintres (« coulleurs ») en proportions importantes (cf. graphiques 3 et 4). Au cours de l’année, ce ne sont pas moins de 2 112 ℓ 13 s. 10 d. t. qui leurs sont consacrées, soit le 5poste de dépense frais matériels et main d’œuvre confondus qui monte à 7,5% du budget total.

 

 

 

      • Le transport

Les charretiers occupent une place notable dans l’organisation du chantier et leur rémunération revient à 4% du budget total (557 ℓ. 6 s. 7 d. t.). Le travail est comptabilisé en « tours de charroy », en journées de charretiers ou en nombre de tombereaux (« tumberees »). Les 1 120 journées de charretiers se répartissent en 393 journées au cours du 1rôle, 164,5 journées au cours du 2e, 188 au 3e et 375 durant le 4rôle.

Les attelages les plus courants, à 3 chevaux, représentent plus de 90% des voyages et sont loués 10 s. ou 11 s. 3 d. t. par jour. Ils acheminent du bois de la forêt d’Amboise et effectuent aussi le transport des pierres de la carrière de La Ronde (f°120v°). Certains attelages à 2 chevaux ‒ dont on ignore l’usage mais qui servent vraisemblablement au transport de charge sur le chantier même ‒ sont facturés entre 4 s. 8 d. et 6 s. 8 d. par jour. Enfin, le déblaiement des « terriers » terme qui recouvre les décombres, gravats et déblais ‒ est facturé en « tours de charroy » sans que le temps de travail ne soit précisé et assuré par des tombereaux (f°224r°).

 

Les voituriers par eau interviennent au cours de l’été 1496 (4rôle) pour apporter du sable à faire le mortier, le pont étant alors hors d’usage, ce qui nous renseigne indirectement sur l’exploitation du « sablon » : il est tiré sur la rive droite de la Loire et il était manifestement acheminé d’ordinaire par « charroy ». Puisqu’aucune mention n’apparait dans les autres rôles, on peut supposer que son extraction incombe aux manœuvres.

 

 

 

    • La main d’œuvre

 

L’organisation du chantier se comprend à travers le nombre d’ouvriers employés. Près de 700 ouvriers travaillent au château de l’automne 1495 à l’été 1496. Le paiement de la main d’œuvre constitue sur l’année 50% de la dépense totale, soit autour de 16 000 . t. (cf. graphiques 1 et 7).

 

 

Graphique 7 : Répartition des dépenses par rôle consacrées au paiement de la main d'œuvre.

      • Les maçons, les tailleurs, les « ymagiers » et les « perriers »

 

Le paiement des ouvriers de la pierre (maçons, tailleurs de pierre, « perriers » y compris les manœuvres) représente près de 30% de la dépense totale, 62% des salaires et monte à quelques 9 300 ℓ. t. (cf. graphiques 7).

Le chantier est sous les ordres de trois maîtres-maçons (f°32v°) : Colin Byart, Guillaume Senault et Loys Amangeart. Colin Byart est toujours cité le premier dans le compte, ce qui pourrait être l’expression d’une plus grande considération, mais il reçoit, comme les deux autres, 6 s. 3 d. t. par jour. Au cours du 1er rôle, il travaille 70 journées et touche la somme de 21 ℓ. 17 s. 6 d. t. Guillaume Senault et Loys Amangeart reçoivent quant à eux 20 ℓ. 6 s. 3 d. t. pour 65 journées. Sans être maître-maçon, Pierre Bridonneau, simple maçon, gagne lui aussi 6 s. 3 d. t. par jour.

On recense 13 catégories de rémunérations. Au cours du 1er rôle, Martin De Brucelle, maçon, vient effectuer 16 journées payées 15 s. par jour. Gagnant plus du double des maîtres-maçons, il est sans doute appelé à Amboise pour accomplir une tâche particulière que nous n’avons pas découverte. La répartition des salaires demeure sensiblement similaire durant les 4 rôles (cf. tableau 8).

 

 

 

Nombre de maçons

 

Salaire journalier

1erôle : octobre, novembre, décembre 1495

2erôle :

Janvier, février, mars 1496

3erôle :

Avril, mai, juin 1496

15 s. t.

1

-

-

6 s. 3 d. t.

4

4

4

4 s. 2 d. t.

-

20

68

3 s. 9 d. t.

74

80

45

3 s. 6 d. t.

1

-

-

3 s. 5 d. t.

-

1

-

3 s. 4 d. t.

59

55

13

3 s. 1 d. t.

1

-

-

3 s. t.

-

6

1

2 s. 7 d. t.

9

-

-

2 s. 6 d. t.

7

4

3

2 s. t.

1

1

-

15 d. t.

1

-

-

Nombre total de maçons

157

171

134

Nombre de journées

9 313

7 626

7 331

 ​​ ​​ ​​ ​​ ​​​​ Tableau 8 : Rémunérations des maçons

 

 

Un même maçon peut être rémunéré 3 s. 9 d. par jour au cours du 1rôle (automne 1495), puis 4 s. 2 d. par jour au cours du 4rôle (été 1496) (Colas Herbert, f°99r° et 229v°).

Pour ce qui est des effectifs de l’année 1495-1496, 60% d’entre eux sont présents tout au long du chantier et plus de 20% d’entre eux se retrouvent dans 2 ou 3 rôles ; le renouvellement de la main-d’œuvre se limite donc à moins de 20%. Mais, au-delà du nombre de maçons qui œuvrent au chantier, le nombre de journées de travail est sans doute plus parlant pour évaluer l’avancement des travaux. Dans le 1er rôle, 9 313 journées de maçons sont effectuées, dans le 2e, 7 626, dans le 3e, 7 331 et dans le 4e, 6 937 journées. Le travail des maçons est donc allé en décroissant et ce n’est pas à la belle saison que l’on compte le plus de journées mais à l’automne 1495. Par ailleurs, le nombre maximum de maçons présents sur le chantier atteint 171 personnes au cours du 2rôle alors qu’ont été effectuées 1 687 journées de travail de moins qu’au 1er rôle où les maçons sont 157. Cette augmentation d’effectifs à la fin de l’année 1495 pourrait s’expliquer par la perspective de la « venue du roy » (f°159r°) qui doit rentrer d’Italie d’un moment à l’autre. Au mois de février 1496, la présence du roi est en effet attestée (f°138v°). Cependant, on constate aussi que le nombre de maçons suit le rythme des saisons et compense ainsi la variation des heures de jour.

Le nombre de journées ouvrées par trimestre varie entre 74 et 45 pour 80% des maçons et des manœuvres. Le temps de travail moyen se situant autour de 55 journées, il faut compter en principe 296 à 220 jours de travail par an. Certains ouvriers fournissent probablement une main-d’œuvre d’appoint en travaillant moins de 20 jours ; on remarque qu’ils correspondent souvent au 20% des effectifs qui ne participe qu’à un seul rôle.

 

Le compte différencie le chapitre « tailleur de pierre » du chapitre « perriers ». Au chapitre « tailleur de pierre », les hommes sont des « maçons », payés à la tâche. Au chapitre « perriers », les hommes sont rémunérés à la journée pour aller extraire de la pierre, durant le 1er rôle à Malvau et durant le 4e aux Caves.

Au cours de l’année 1495-1496, les tailleurs de pierre sont entre 13 et 27. Ils façonnent aussi bien les pierres les plus ordinaires ‒ quartiers de pierre ou de pierres dures, pavés, marches, piliers et « pierres pendans » ‒ que les pierres moulurées ‒ « pierres de clervoyes » et d’ogives. L’éventail des rémunérations est dicté par le temps de travail passé et la pénibilité ainsi que par la spécialisation de la tâche. Ainsi, tailler 100 quartiers de pierre de taille est rétribué 40 s. t. (2 ℓ. t.) ; 100 « pierres pendans » rapportent entre 4 s. 3 d. t. et 6 s. 8 d. t. ; les pavés reviennent à 20 s. t. la toise. La taille des nervures d’ogives à 3 s. t. pièce se révèle le travail le plus prisé, car le plus délicat.

Quant aux « perriers », au nombre de 16 dans le 1er rôle et de 2 dans le 4e, rémunérés à la journée et non à la tâche, durant la période hivernale (2rôle), ils n’œuvrent pas sur le chantier. Ces hommes constituent donc une main d’œuvre d’appoint (1er et 4rôles), pour soutenir le rythme du chantier. L’extraction du tuffeau se pratiquant en carrières souterraines, il est probable qu’en hiver les carriers travaillent sous terre, à l’abri des intempéries, et qu’à la belle saison ils optent pour un travail à l’air libre ; en été 5 d’entre eux apparaissent au chapitre des tailleurs de pierre ou des maçons. En hiver, lorsque les glaces entravaient la circulation fluviale, l’extraction de pierre continuait mais on commandait dans les carrières les plus proches de Lussault et Malvau. Ponctuellement, en période de crue ou lorsque la Loire charriait des glaces, on devait acheminer la pierre par la route. En effet, des journées de charretiers comptabilisées sans autre indication de trajet pourrait s’y rapporter. Enfin, 9 rotées de bois sont achetées au cours du 2rôle « pour servir a faire du feu pour degeller les pierres pour faire besoigner les maçon au temps d’iver » (f°168) ; et un scieur de long est payé pour 8 rotées de bois « baillées et livrées au mois de decembre pour chauffer et dejeler lesdites pierres pendans dont les voultes ont esté faictes » (f°85v°).

 

Enfin, on remarque que les sculpteurs, au nombre de trois seulement ‒ Pierre Minart, « maistre ymagier », Casin Dutrec, « ymagier », et Cornille Deneuf, également « ymagier » ‒ sont énumérés au chapitre des « peintres et ymagiers ». Leurs patronymes évoquent leur région d’origine, les Pays-Bas. Ils travaillent pendant les quatre rôles. Casin Dutrect se trouve sous la direction de Pierre Minart. Au 1er rôle, ils sont rémunérés à hauteur, pour le maître, de 10 ℓ. t. par mois et, pour les deux autres, de 7 ℓ. t., ce qui équivaut à des salaires élevés, semblables, voire supérieurs à celui des maîtres-maçons qui gagnent 21 ℓ. t. par trimestre. Au cours des rôles suivants, ils sont payés à la journée, des salaires comparables, pour 64 à 72 jours de travail. Ils travaillent tous aux sculptures, à la chapelle et « ailleurs », sans plus ample précision.

Cornille de Neufve semble jouir d’une certaine autonomie. Sa subordination à Pierre Minart n’est jamais signalée ; au cours du 2rôle, il est rémunéré à la tâche (10 ℓ. et 70 s. t.) et son travail est précisément décrit :

« A Cornille Deneuf, ymagier, pour avoir tailler en pierre en tache au temps dessusdit ung petit ymaige de Dieu tenant en une main un monde et faisant la banedicion de l’autre mis sur la porte de la chapelle du donjon dudit chastel […] »

 

 

La corrélation des mentions concernant les maçons, les tailleurs, les « ymagiers » et les « perriers » au reste du compte autorise à envisager une ébauche de l’organisation du chantier : la multiplicité des types de pierres et leurs destinations semblent signifier que les maîtres-maçons menaient plusieurs ouvrages à la fois, afin de ne pas ralentir la marche du chantier et d’éviter ainsi le renouvellement trop important des maçons. Certains hommes, perriers, spécialistes de la pierre travaillaient aussi bien à son extraction, qu’à sa taille et à sa mise en œuvre.

L’effectif des manœuvres doit être mis en relation avec celui des maçons. Leurs salaires ne sont pas forcément plus bas et ils sont plus homogènes, variant entre 3 s. et 3 s. 4 d. par jour ; quelques-uns touchent 2 s. 6 d. Ils sont 85 à 98 manœuvres sur le chantier. Le nombre de journées de travail effectuées passe de 5 323 au 1er rôle, à 3 617 au 2e, à 4 468 au 3e et à 5 148 au 4e. Le rapport entre le nombre des maçons et celui des manœuvres est donc de 1,6 au 1er rôle et au 3e, de 2,1 au 2e et de 1,3 au 4e. Ces variations numériques traduisent sans doute l’avancement du chantier, l’édification de certaines structures moins ornées progressant plus rapidement que d’autres et demandant moins de manœuvres.

Nous n’avons aucune indication directe sur l’organisation des équipes de travail. Les 60% de maçons présents tout au long de l’année constituent l’équipe permanente du chantier. Si nous sommes certains que le chantier de maçonnerie est mené par Colin Byart, Guillaume Senault et Loys Amangeart, le salaire homologue de Pierre Bridonneau infère qu’il assure une charge similaire. Mais nous ne connaissons rien du rôle réel des maîtres-maçons à Amboise qui se trouvent quotidiennement sur le chantier. Quelles tâches assurent-ils concrètement ? Il est probable que la conception générale des plans et la réalisation des gabarits pour les éléments moulurés soient de leur seule responsabilité. Les « moules » ou « molles » ne figurent pas dans le compte mais nous pouvons rapprocher du travail des maîtres-maçons, « ymagiers » ou sculpteurs « neuf paux de parchamin […] pour faire des pourtraiz pour les paintres et une main de papier fin » (f°84v°).

 

Sur les chantiers de Sens13 et Gisors, les « maçons ordinaires » sont au nombre de 14 à 12 selon les années. Avec 171 maçons œuvrant au cœur de l’hiver (2rôle), l’échelle du chantier d’Amboise est tout autre, n’étant comparable qu’au très grand chantier du pont Notre-Dame à Paris, où « à partir de juin 1500, les échevins désignèrent « cinq principaux maçons et tailleurs de pierre » qui devaient avoir chacun quatorze maçons et tailleurs sous leurs ordres »14. Si nous nous fions aux effectifs des équipes les plus nombreuses, nous pouvons fonder l’hypothèse qu’à Amboise elles étaient composées de 8 à 14 hommes ; ce qui pour le 2rôle aurait constitué 12 à 20 équipes.

Un chantier d’une telle ampleur demande une organisation très rigoureuse. Nous proposons que les équipes aient été scindées en 4 brigades, chacune placée sous la responsabilité de l’un des trois maîtres-maçons, Colin Byart, Guillaume Senault et Loys Amangeart, ou de leur homologue, Pierre Bridonneau. Cependant, la topographie escarpée du site et la probabilité que des manœuvres soient venus gonfler les effectifs de chaque équipe laisse à penser qu’elles aient plutôt été composées de 8 ouvriers pour faciliter la coordination et la communication entre eux. Ainsi, chaque chef de brigade aurait dirigé 5 équipes, soit une quarantaine de maçons, et chacune d’elles devait avoir à sa tête un chef d’équipe, ce qui induit une haute qualification de la main-d’œuvre et une capacité à travailler de façon relativement autonome.

 

 

 

      • Les charpentiers

Au cours de l’année 1495-1496, les charpentiers effectuent 4 082,5 journées mais le travail se répartit très inégalement entre les 4 rôles et leur rémunération ne coûte que 5% de la totalité des salaires (812 ℓ. 15 s. 2 d. t.), soit à peine 2,5% du budget total (cf. graphiques 1 et 7). Ainsi, au 1er rôle, on compte 1 806 journées de charpentiers attribuées essentiellement à la charpente du logis des Sept Vertus. Ensuite, le nombre de journées va en décroissant : au 2rôle, 1 533 journées employées aux différentes galeries, au 3e, 569 journées et, au 4e, tout juste 174.

La charpenterie est sous la direction de Pierre Bryant (f°74r°), maître-charpentier, qui reçoit un salaire équivalent à celui des maîtres-maçons, à savoir 6 s. 3 d. par jour. Sous ses ordres, « Robin Rousseau aussi charpentier ayant la charge et conduicte du fait de la charpenterie desdits ediffices » gagne 5 s. t. par jour. Puis, viennent 4 charpentiers payés journellement 4 s. 2 d. t. Enfin, pour les deux premiers rôles seulement, 35 charpentiers reçoivent un salaire allant de 3 s. 9 d. à 2 s. 7 d. t.

 

 

 

      • Les couvreurs

Le coût de revient des couvertures est assez réduit à l’échelle du compte, et atteint 2% de la dépense consacrée aux salaires. Cependant, les couvreurs travaillent principalement aux 1er et 2rôles (cf. graphiques 1 et 7).

Au cours du 1er rôle, une équipe de trois couvreurs venant de Tours travaille par marché à couvrir la majorité du logis des Sept Vertus (f°78r°). En considérant une charpente dont la pente est de 60 degrés − ainsi qu’on le rencontre sur les bâtiments de la fin du Moyen Âge en Touraine − on peut évaluer la surface de couverture à 1 250 m², pour laquelle ils sont rémunérés 600 ℓ. t. main-d’œuvre et matériaux compris. Au cours du 2rôle, 25 autres couvreurs travaillant à la tâche réalisent les galeries notamment (f°140r°).

 

 

 

      • Les maréchaux et serruriers

Les maréchaux fabriquaient essentiellement les pointes de marteau, les « treillis » ou grilles ainsi que des ferrures et des serrures pour les édifices défensifs tels que la tour des Minimes (f°89v°-90r° et 219r°). Les serruriers étaient quant à eux chargés de ferrer les baies et les portes des logis. Ils exécutent diverses pièces − sans doute les gonds, les pentures et les loquets…− qui, sauf quelques serrures variées, ne sont pas détaillées dans le compte de 1495-1496.

Au titre de canonnier ordinaire du roi, Jean De Bayne touche 19 ℓ. t. par trimestre (f°152r°), outre les différents travaux pour lesquels il est rémunéré à la tâche. Il réalise les pièces les plus volumineuses ou exceptionnelles, telles que 5 paires de « lampiers » pesant 376 livres pour le logis des Sept Vertus ainsi qu’« ung espy de fer mis sur la grant viz dudit grant corps de maison poisant 96 lbz », « deux crappaudeaux de fer poisans cinquante six lbz de fer » ou encore 85 crochets de fer (f°152v°). L’ouvrage le plus monumental qui lui revient reste les « deux grans portes de fer pour servir a la porte et entree de la grosse tour encommancee a faire au Petit Fort dudit Amboise » (f°153r°), qualifiant les vantaux de la porte de la tour des Minimes. À ses côtés travaillent occasionnellement deux maréchaux payés à la tâche : Florentin Moyer et Carie Gillebert. Ils sont principalement chargés d’aiguiser et acérer les outils : « picz », « mares » et « boulons ».

Durant les 4 rôles, œuvre un serrurier, renommé au vu de son origine éloignée et de son statut avantageux : « Pierre Hervé dit De Dignen », breton si l’on en croit son surnom, est rémunéré « tant pour lui que pour deux de ses serviteurs ouvriers dudit mestier pour leurs peines et sallaires d’avoir besoigné de leur dit mestier au temps dessusdit chacun jour ordinairement qui sont trois moys entiers a faire serrures et autres choses pour le fait desdits edifices au pris de 15 ℓ. t. par moys » (f°221r°). Jean Amassart, également serrurier, reçoit, quant à lui un salaire mensuel bien moins flatteur qui s’élève à 70 s. t. par mois, soit 3,5 ℓ. t. Les autres serruriers, 4 à 8 selon les rôles, sont payés à la tâche ce qui explicite le détail de leur ouvrage. Ainsi, ils fabriquent des « serrures a boce », ou « a boce, a coureil », des « serrures truffieres et des serrures communes ». La grande majorité de ces serrures est destinée au logis des Sept Vertus dont le second œuvre doit être achevé au plus vite pour l’arrivée du roi au mois de février 1496 (f°159r°). Enfin, ils fournissent 1 400 crochets pour « tendre la tappicerie audit chastel aupris de 3 s. 4 d. le cent » (f°149v°) et des crampons pour attacher les huisseries.

La commande de 22 aunes de « drap rouge » (f°270v°) correspond à la toile que l’on rencontre sous les ferrures bien conservées des meubles et des huisseries. Son emploi indique que les ferrures présentent des platines ou des pentures découpées, voire des motifs centraux ajourés.

 

 

 

      • Les plombeurs

Les « plombeurs » effectuent 807 journées, à raison de 200 par rôle, ce qui revient à 254  43 s. 12 d. t. et représente qu’à peine 1% de la dépense totale (cf. graphiques 1 et 7). On retrouve tout au long du compte la même équipe de 4 « plombeurs » aux côtés de Jean Rousseau, maître-plombeur, Loys Coustelly, Antoine Fevre et Pierre Thibault. Le premier touche10 s. t. par jour tandis que les autres gagnent 6 s. t. par jour, 4 s. 2 d. t. ou 3 s. 9 d. t.

 

 

 

      • Les enduiseurs et les « bouzilleur »

Parmi les travaux de finition, le « bouzilleur » qui pose le torchis est payé au mètre carré de plancher ou de cloison réalisé tandis que les enduiseurs effectuent 367 journées de travail. Ces deux corps de métier constituent des postes de dépenses minimes représentant moins de 0,5% du budget total (cf. graphiques 1 et 7) : 85 ℓ 9 s. 2 d. t. pour les enduiseurs et 30 ℓ. 16 s. 8 d. t. pour le « bouzilleur ».

Le « bouzilleur » réalisait les cloisons et les plafonds ou planchers en torchis : amalgame de foin et de terre appliqué sur des éclisses de bois puis enduit. Cette tâche revient à Jean De Benoist, seul « bouzilleur » employé sur le chantier. Il œuvre au cours des 1er, 2e et 4e rôles mais on ne connaît pas réellement sa cadence de travail puisque les surfaces qu’il recouvre vont du simple au quadruple. Il est rémunéré 5 s. t. la toise, au 1er trimestre pour 40 toises de plancher, au 2e trimestre pour 184 toises et au 4e pour 83,6 toises (f°86r°).

Les surfaces exprimées en toise sous-entendent des toises carrées. Au 1er rôle, les 40 toises réalisées ne correspondent pas à la totalité des planchers du corps de logis principal des Sept Vertus qui mesure 40 m de long sur 10 de large et comporte 2 niveaux principaux planchéiés. Elles sont complétées, durant le 2rôle, par 184 toises de plancher « es chambres, galleries, viz, galatas du grant corps de maison nouvellement fait audit chastel appellé les cuisines et fourny de toutes choses a ce necessaires » (f°148r°). Parties de ces travaux doivent être dévolues à l’isolation des combles du même logis. Enfin, durant le 3rôle, il achève d’enduire le logis des Sept Vertus, notamment la garde-robe du roi ainsi que les logis de Jean de Bayne, canonnier du roi et celui d’un artiste italien nommé Pagueny (Mazzoni Guido, dit Paganino), logis qui, sans doute installés dans des bâtiments anciens, demandent des restaurations (f°269r°).

 

Au cours des 2 premiers rôles, Jean Gayet et Jean Laurens, enduiseurs, passent chacun 65 journées, puis 129 journées (f°148), à « enduire les galleries, viz et autres lieux ou il est convenable audit corps de maison aupris de 5 sols » (f°86r°). Ils travaillent donc au logis des Sept Vertus et la nécessité d’enduire en divers endroits infère que certaines parties, notamment les galeries et les vis, soient bâties en moellon ou en pan-de-bois. La faible épaisseur des cloisons des garde-robes levées sur le plan de 1708 corrobore leur construction en pan-de-bois.

Au cours des 3e et 4rôles, les travaux concernent la tour des Minimes ; ainsi, Jean Gayet, sans doute aidé de manœuvres, vaque durant 62 et 63 journées à « joindre et bauchir les voultes de la monte de la grosse tour que on fait de present audit chastel au pris de 4 s. 2 d. par jour » (f°215r°). Pour cette tâche, son salaire quotidien a diminué de 15%.

 

 

 

      • Les manœuvres

Il nous faut encore saisir l’organisation quotidienne du chantier. Le rôle des manœuvres n’est jamais évoqué alors que leur nombre est considérable. Il y a tout lieu de croire qu’ils ont été polyvalents et répartis, chaque jour, au gré des besoins du chantier et des différents corps de métiers (cf. graphiques 1 et 7).

 

 

 

      • Les peintres

Une douzaine de peintres (f°208v°-214r°)15, hommes et femmes, réalisent 499 journées pour orner « les galleries du danjon », mais aussi pour étoffer et peindre « une chambre et garde robe du grant corps de maison fait nouvellement audit chastel », ou encore pour peindre les entretoises des plafonds. Il est donc avéré que le logis des Sept Vertus était rehaussé de peintures murales et si l’iconographie n’en est jamais précisée, on peut la supposer fraîche, colorée et naturaliste (cf. graphiques 1 et 7).

 

 

      • Les charretiers

4% du budget total, est accordé à la rémunération des charretiers soit 557 ℓ. 6 s. 7 d. t. (cf. graphiques 1 et 7). Travaillant avec leurs chevaux et charroi, le coût de revient d’une journée est fonction de l’importance de l’attelage. L’attelage à 6 chevaux (f°195, f°164r° et f°554), qui est le seul de cette ampleur, vaut entre 12 s. 6 d. et 25 s. t. par jour. Il n’est pas employé moins de 198 journées, sans doute pour les charges très lourdes.

Loys Amangeart, l’un des trois maîtres-maçons, se charge de voiturer au château un grand pilier, des petites marches et du pavé provenant de la carrière de La Ronde. D’autres font le même trajet16, mais pour de nombreux voyages, ni la nature du chargement ni le trajet ne sont précisés. Pierre Bryays, charretier, est quant à lui rémunéré 10 ℓ. 10 s. t. pour 840 « tumberees de terriers ostees et menees avec son charroy du pié dudit chastel devers la porte Heurtault jusques es mairees dudit lieu », qui correspondent au vu du volume à des terrassements.

 

1

​​ BnF, ms. fr. 20579, pièce 9, 16 août 1473.

2

​​ Lucie Gaugain, Amboise, un château dans la ville, Tours, PUFR, 2014, chapitre 5, p. 95 sq.

3

​​ Il s’agit du socle au plan en croix latine fondé en ville et montant jusqu’au niveau du promontoire, qui porte la chapelle Saint-Hubert.

4

​​ Louis de Grandmaison, Compte de construction du château royal d’Amboise (1495-1496), Paris, 1912, 60 p.

5

​​ Évelyne Thomas, « Les logis Royaux d’Amboise », Revue de l’art, n°100, 1993, p. 44-57.

6

​​ Lucie Gaugain, Le château et la ville d’Amboise à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance : architecture et société, thèse de doctorat, université de Tours, 2011, 1760 p. Et Amboise, un château dans la ville, Tours-Rennes, 2014, 465 p.

7

​​ Étienne Hamon, Un chantier flamboyant et son rayonnement. Gisors et les églises du vexin français, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2008.

8

​​ Denis Cailleaux, La cathédrale en chantier. La construction du transept de Saint-Étienne de Sens d’après les comptes de la fabrique 1490-1517, Paris, éd. du CTHS, 1999.

9

​​ Florian Meunier, Martin et Pierre Chambiges. Architectes des cathédrales flamboyantes, Paris, Picard, 2015.

10

​​ Lucie Gaugain, Marie Lafont, « L’hôtel des échevins de Bourges », Congrès Archéologique de France, session 2017, Bas-Berry, Étienne Hamon (dir.), Paris, 2019 (sous presse).

11

​​ Pierre Charbonnier et Abel Poitrineau Les anciennes mesures locales du Centre ouest d’après les tables de conversion, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2001, p. 105.

12

​​ Gilles Blieck, « Le bois et sa mise en œuvre d’après les sources comptables. L’exemple du château dit de Courtrai à Lille de 1390 à 1500 », dans les Actes du colloque de Lons-le-Saunier tenu du 23 au 25 octobre 1997, Le bois dans le château de pierre au Moyen Âge, Jean Michel Poisson et Jean-Jacques Schwien (dir.), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2003, p. 71.

13

​​ Denis Cailleaux, La cathédrale en chantier…, op. cit., p. 411-424.

14

​​ Étienne Hamon, Une capitale flamboyante, op. cit., p. 302.

15

​​ Anthoine Bryant, « maistre paintre », Balthazar Furet « aussi maistre paintre », Jean Famiert, Francoys Briant, Jean Bryant, Jean Enerard, Guillaume Urban, Pasquier Delariviere, Bertrand Girauldet, Leonnet Benoist, Prothays De Portenille peintre, Marie Coudrau et Daulphine sa fille, « paintresses ».

16

​​ Martin Palu, Pierre Charruau, Mathurin Dumyn, Michaud D’Espaigne, Pierre Poupineau, Colas Lepaige, Pierre Davy et Pierre Fontenelle.

Le compte de construction du château d’Amboise (1495-1496)
renumar

renumar